vendredi 29 février 2008

LA CANNE DU COMPAGNON


Par la Mirgesse de Ploemeur, de la Cayenne mère d'An Oriant

Prévôt, l'ancien, payses, pays,
Je vais vous parler de la canne du compagnon. Au risque de répétitions pour les anciens, je vous livre ce soir ces quelques réflexions destinées, au delà d'un simple rappel, à nous enraciner dans le savoir être compagnonnique. Je retiendrai trois axes de réflexion :

I - la canne et l'homme
II - la canne et la défense
III - la canne et la vieillesse

I - La canne et l'homme

Témoin de notre cheminement, notre canne, vous devez vous en douter, a une valeur bien particulière. Lors de notre réception, voici ce que nous entendons dire : « la canne est en bois cerclée de métal, compagne du compagnon, témoin du chemin parcouru, gravée à votre nom compagnonnique lorsqu'à l'étape vous deviendrez compagnon ou compagnonne confirmé(e). On ne pénètre pas sans elle en chambre des devoirs et c'est grâce à elle que l'on se fait connaître ».
Quoi de plus normal et logique que nous ayons une canne puisque par définition, un compagnon voyage. Pour nous le voyage est aussi spirituel. Alors dans cette optique, la canne devient l'emblème de l'homme dans son positionnement traditionnel : le pommeau cerclé de métal représente le ciel, la base carrée représente la terre, et le corps de la canne, tel le fil à plomb de la verticalité, représente l'homme. Je ne parlerai pas des couleurs qui ornent la canne. Je vous rappelle simplement qu'il y en a cinq, cinq étant le nombre de l'Homme. Et je dis bien cinq couleurs bien qu'il n'en apparaissent que trois. Trois pour le compagnon reçu, trois pour le compagnon confirmé, mais une en commun, donc cinq au total. Et si vous vous demandez pourquoi deux couleurs disparaissent sur la canne du compagnon confirmé, à savoir la verte et la blanche, alors reportez-vous au symbolisme de la croix. Le compagnon reçu est sur l'axe horizontal, axe des équinoxes, printemps (couleur verte) et automne (couleur blanche). Le compagnon confirmé accède à la verticalité, axe des solstices d'été (couleur rouge), d'hiver (couleur bleu marine). Le passage de l'horizontalité à la verticalité s'effectue par rapport à un centre (couleur jaune), lieu et lien commun de la canne du compagnon reçu à celle du compagnon confirmé.
Vous comprenez maintenant que tout ce qui s'observe dans nos protocoles est un langage codé destiné à nous rappeler les messages essentiels de notre compagnonnage. Et bien que nous soyons de tous les métiers de la santé, je ne peux m'empêcher de faire un clin d'oeil à mon propre métier. En effet, la canne a aussi une signification évocatrice particulière pour l'acupuncteur : elle a la même forme qu'une aiguille traditionnelle !

II - La canne et la défense

Le compagnon chemine, la route n'est pas sans danger. Et nous, professionnels de la santé, nous savons bien que la vie est un combat, une lutte contre les circonstances qui favorisent la maladie. Ces circonstances de maladie sont la résultante de l'ignorance et de la cécité spirituelle qui conduisent autant à la mauvaise hygiène (porte ouverte aux microbes pathogènes), qu'à l'attitude des marchands du temple médical. Ceux là même qui considèrent la médecine comme un instrument de domination et non de libération, qu'ils soient médecins patentés ou non médecins ! Et le compagnonnage est un chemin qui conduit à réduire cette ignorance et à aiguiser notre regard spirituel. La canne est ainsi l'instrument emblématique de défense et de soutien contre les embûches du chemin compagnonnique que nous avons choisi pour notre progression personnelle et professionnelle.

Un peu de culture maintenant

Nous retrouvons la canne ou le bâton dans de multiples civilisations, de l'Orient à l'Occident.
En Asie, la pratique du bâton à toujours fait partie intégrante des Arts Martiaux, dans leur sens à la fois le plus noble et le plus populaire.
En Europe, la canne est un bâton particulier. Et le bâton a toujours été emblématique d'un pouvoir : bâton du maréchal, crosse papale, bâton du magicien, bâton du Garde des Sceaux, du bâtonnier des avocats, sceptre royal... mais aussi bâton sur lequel s'appuie le simple moine, le soldat, bâton du sergent de ville ou "gens d'arme", bâton du paysan ou du berger... Bref, le bâton est omniprésent, de la base au sommet de toute hiérarchie classique.
A la fois, arme, outil, instrument et emblème de pouvoir le bâton est donc l'un des plus anciens attributs humains... On retrouve, en effet, jusque dans les grottes préhistoriques, le fameux "bâton de commandement"... Ceci est vrai, également, en Afrique, en Amérique ... Il suffisait, par exemple aux Comanches amérindiens de toucher un adversaire avec un simple bâton pour que celui-ci s'avoue vaincu. Ces tribus n'ont été elles-mêmes vaincus que par les "bâtons tonnants" des soldats bleus... On retrouve des pratiques "martiales" liées au bâton en Afrique, au Magreb, au Portugal, au Pays Basque et dans les pays nordiques les pratiques martiales ont disparu au profit de la fameuse "Gymnastique Suédoise". Et partout ou le théâtre remplace le combat, le bâton est indispensable à toute représentation s'ouvrant par les trois coups frappés avec vigueur.

III - La canne et la vieillesse

Convalescence après un accident des membres inférieurs, vieillesse, et la canne est présente. Souvenons-nous simplement de l'énigme du Sphinx de la mythologie. Quand Oedipe se présente au Sphinx pour l'épreuve, il lui demande : « qu'est-ce qui le matin se tient sur quatre pieds, à midi sur deux pieds et le soir sur trois pieds » ? Et Oedipe lui répond : « C'est l'homme qui marche à quatre pattes quand il est enfant, marche debout quand il est adulte et à besoin d'une canne dans sa vieillesse pour appuyer ses pas ».
Dans notre vie courante, on remarque nos personnes âgées, qui se soutiennent avec des cannes, les mal voyants ou non voyants qui se dirigent avec une canne.
La canne nous rappelle ainsi à l'humilité dans notre vie. Lorsque l'on est jeune, frais et vaillant, on pourrait facilement se dire que l'on a besoin de rien pour tenir debout, d'ailleurs, le bébé qui fait ses premiers pas est bien dans cette dynamique d'assurance et de certitude puisqu'il se lance dans la vie pour gérer en permanence ce déséquilibre qu'est la marche. La stabilité étant bien trois appuis et non deux, imaginez un tabouret sur deux pieds ...

Conclusion

Lors de notre voyage compagnonnique, nous comprendrons tous pourquoi notre canne est si importante : elle est tellement personnelle ! Et c'est pourquoi elle est gravée à notre nom compagnonnique. Elle est notre stabilité, elle permet notre donnée stable. Sans elle, nous errerions dans la vie sans avoir conscience de réellement qui nous sommes en tant qu'être.
La canne est un objet précieux, qui peut être très bénéfique comme l'inverse. Souvenons que ce même objet, qui pourra servir à soutenir un homme blessé, pourrait aussi servir à l'assassin pour rouer de coup le bon samaritain.
Investissons de notre pensée créatrice notre canne, témoin de tellement d'intimité, et emblème de notre vie au quotidien.
Ainsi Ai-je dit.

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